Il a demandé l’asile aux États-Unis. Ses connaissances pourraient être précieuses.
Surnommé le «Cygne blanc» en Russie et baptisé «Blackjack» par les pays de l’OTAN, réponse de l’Est au B-1B Lancer américain construit par Rockwell, le bombardier lourd supersonique et stratégique Tu-160 est sans aucun doute l’une des pièces maîtresses de l’arsenal aérien (et atomique) de Moscou.
Si le Tu-160, pas des plus jeunes mais récemment modernisé et relancé en grande pompe, est déjà plutôt bien connu des services américains et de leurs alliés, ces derniers ont sans doute tressauté de joie en apprenant qu’un ingénieur russe ayant planché sur l’aéronef, par ailleurs largement utilisé pour bombarder l’Ukraine à distance, a récemment fait défection pour demander asile aux États-Unis.
Comme le rapporte Yahoo News, l’homme et sa famille se sont présentés à la frontière sud-ouest du pays dans un SUV. Craignant pour sa vie après avoir participé à des manifestations hostiles au régime de Vladimir Poutine et en soutien du prisonnier politique Alexeï Navalny, l’homme a demandé au Customs and Border Protection (CBP) à être accueilli et protégé aux États-Unis, tout en expliquant détenir des informations qui pourraient grandement intéresser le Pentagone.
Yahoo News a pu se procurer le rapport du CBP sur cette première rencontre. Il y est écrit que «ses emplois passés incluent du travail entre 2018 et 2021 sur la confection d’un type particulier d’avion dans les usines de Tupolev à Kazan, dans le centre-ouest de la Russie».
«Il a décrit l’appareil comme “un aéronef offensif” et dit qu’il se nommait “Cygne blanc-TU160”, le plus gros des avions militaires russes», a encore noté l’agent du CBP lors de cette première déposition. Ledit rapport a ensuite été transmis à une autre instance, nommée «National Border Security Intelligence Watch», chargée de scruter ces rapports du CBP et de noter les cas «intéressants» et faits saillants. Bingo: à l’évidence, il s’agissait potentiellement d’une sacrée prise.
Spécialiste de la Russie pour le Center for Naval Analyses, l’analyste Michael Kofman a expliqué à Yahoo News ne pas être au courant de l’histoire de cet ingénieur en particulier, mais a confirmé le grand intérêt que peuvent représenter les informations qu’il détient.
«Un individu travaillant dans une usine militaire comme celle de Tupolev peut avoir accès à tout une gamme d’informations sur la production industrielle de défense, sur des spécifications du Tu-160 et ses variants modernisés récemment développés, sur son processus de fabrication, sur ses besoins et ses limitations», a déclaré Kofman.
Un officiel américain assure par ailleurs que la question est cruciale quant à la capacité de l’appareil de lancer, ou non, des projectiles hypersoniques, ces armes réputées invincibles et contre lesquelles les défenses, à l’heure actuelle, ne sont qu’au stade du développement. «Le manager d’un site industriel pourrait-il savoir s’ils ont modifié les bombardiers pour leur permettre de lancer des missiles hypersoniques? C’est possible», avance-t-il.
Au secret
De manière très curieuse, Jana Winter de Yahoo News explique que le rapport auquel elle a eu accès donne l’identité complète du transfuge. Ce qui semble légèrement problématique face à un Kremlin qui n’hésite pas à empoisonner ses opposants où qu’ils soient dans le monde, ou à provoquer d’opportune sépidémies de chutes de fenêtres ou de décès étranges chez ses anciens alliés.
Il semble qu’après une semaine de vérifications, de son identité comme de son histoire, l’homme et ses informations aient été jugés crédibles et pris en charge par le FBI, qui l’a ensuite mis au secret avec sa famille.
Comme l’explique un autre officiel américain à Yahoo News, les informations qu’il détient ne concernent pas seulement le Tu-160 «Blackjack», mais tout ce qui a trait à l’organisation de l’usine où il travaillait. Méthodes de communication, systèmes informatiques et de messagerie, gestion et identité du personnel: tout, absolument tout peut se révéler utile, notamment en cas –qui sait?– de cyberattaque de la structure.
Ancien de la CIA et de ses opérations clandestines, Daniel Hoffman pense quant à lui que l’événement n’en est pas réellement un: l’homme sur lequel les États-Unis ont mis la main n’est qu’un individu parmi beaucoup d’autres, certes précieux. «Ces choses arrivent tous les jours», commente-t-il, blasé comme s’il ne s’agissait que d’un mauvais scénario hollwoodien.
Source: korii.slate.fr