Sahel : La coopération sino-africaine, enjeux et perspectives
Sahel : La coopération sino-africaine, enjeux et perspectives 1

Par José Carlos Palma*

La coopération sino-africaine, particulièrement dans la région du Sahel, est devenue un enjeu central des dynamiques géopolitiques et économiques du continent africain au cours des deux dernières décennies. Alors que la présence des puissances occidentales, notamment la France et les États-Unis, se réoriente face aux défis sécuritaires croissants, la Chine s’affirme comme un partenaire stratégique pour de nombreux pays africains, y compris ceux du Sahel. Cette coopération englobe des domaines variés tels que l’économie, la sécurité, les infrastructures et la diplomatie. Pourtant, elle soulève également des interrogations sur ses répercussions pour la stabilité régionale et la souveraineté des États concernés.

1. L’expansion de l’influence économique chinoise au Sahel

La Chine, à travers son initiative des « Nouvelles Routes de la Soie » (Belt and Road Initiative ou BRI), a consolidé son statut de premier partenaire commercial de l’Afrique. Au Sahel, une région marquée par des infrastructures sous-développées et des économies fragiles, les investissements chinois sont perçus comme une bouffée d’air frais pour stimuler le développement.

  • Investissements dans les infrastructures : La Chine a financé de nombreux projets d’infrastructure dans des pays sahéliens tels que le Niger, le Tchad et le Mali. Ces projets incluent la construction de routes, de ponts, et de chemins de fer, contribuant à relier les régions rurales éloignées aux centres économiques et facilitant ainsi le commerce et la mobilité des populations.
  • Secteur énergétique et minier : Les ressources naturelles du Sahel attirent également l’attention des entreprises chinoises. Le Niger, par exemple, est l’un des plus grands producteurs mondiaux d’uranium, une ressource stratégique pour la Chine, qui dépend de l’énergie nucléaire pour une partie de ses besoins énergétiques. De plus, Pékin a signé des accords avec le Tchad pour explorer le pétrole et d’autres ressources naturelles, renforçant ainsi son influence dans cette région riche en minerais.
  • Agriculture : La sécurité alimentaire étant un enjeu clé dans les pays sahéliens, la Chine a aussi investi dans l’agriculture. À travers des projets d’irrigation, de modernisation des techniques agricoles et des partenariats dans la production agricole, la Chine s’efforce d’améliorer la productivité agricole locale, avec l’objectif de répondre à la fois aux besoins internes des pays sahéliens et de sécuriser ses propres approvisionnements en denrées alimentaires.

2. Le volet sécuritaire de la coopération sino-africaine

Si la Chine est généralement perçue comme un acteur économique en Afrique, son rôle dans les questions sécuritaires se renforce progressivement. Le Sahel, en proie à des insurrections islamistes, à des trafics transfrontaliers et à une instabilité politique chronique, nécessite un engagement international pour stabiliser la région.

  • Maintien de la paix : La Chine est devenue l’un des plus grands contributeurs de troupes aux opérations de maintien de la paix de l’ONU en Afrique, y compris au Mali dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Le déploiement de ces troupes marque un changement dans la politique étrangère chinoise, qui a longtemps évité les interventions directes dans les conflits internationaux.
  • Formation et assistance militaire : En plus de sa participation aux missions de maintien de la paix, la Chine propose des programmes de formation pour les forces armées de plusieurs pays sahéliens. Ces formations incluent l’entraînement à la lutte contre le terrorisme et le renforcement des capacités pour faire face aux menaces transfrontalières. Toutefois, Pékin reste prudent, évitant des interventions militaires directes et privilégiant les solutions diplomatiques.
  • Coopération en matière de renseignement : Face à la montée de groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans la région, la Chine s’efforce de renforcer sa coopération en matière de renseignement avec les pays sahéliens. Pékin est également préoccupé par la radicalisation de certaines communautés musulmanes en Afrique, craignant un effet de contagion pour sa propre région musulmane du Xinjiang.

3. Diplomatie et influence culturelle chinoise au Sahel

Le « soft power » chinois est un aspect souvent négligé de la coopération sino-africaine, mais il joue un rôle essentiel dans l’établissement de relations durables avec les pays sahéliens.

  • Diplomatie et alliances politiques : La Chine adopte une diplomatie pragmatique dans ses relations avec les pays sahéliens. Contrairement aux puissances occidentales qui conditionnent souvent leur aide au respect des droits humains et à la démocratisation, la Chine s’engage sans interférer dans les affaires intérieures de ces pays. Cela lui permet de gagner la confiance des dirigeants africains, qui voient Pékin comme un partenaire stable, loin des ingérences politiques.
  • Culture et éducation : La Chine investit également dans la promotion de sa culture à travers des initiatives telles que la création d’instituts Confucius, des programmes de bourses d’études pour les étudiants africains, et des échanges culturels. Ces initiatives visent à renforcer les liens entre les peuples et à forger une image positive de la Chine dans l’opinion publique africaine.

4. Les critiques et les défis de la coopération sino-africaine au Sahel

Malgré les avantages évidents de la coopération sino-africaine, celle-ci n’est pas sans critiques ni défis.

  • Endettement : L’un des principaux reproches faits à la Chine est d’avoir placé plusieurs pays africains, y compris ceux du Sahel, dans une situation d’endettement. Les prêts contractés pour financer les infrastructures sont souvent perçus comme une nouvelle forme de dépendance, créant des craintes d’un « piège de la dette » qui limiterait l’autonomie économique de ces États.
  • Souveraineté : Certains analystes estiment que la forte présence économique chinoise pourrait miner la souveraineté des pays africains en leur imposant des choix stratégiques dictés par les intérêts chinois. Cela pourrait notamment se traduire par un affaiblissement de la capacité de ces pays à diversifier leurs partenaires et à prendre des décisions indépendantes sur la scène internationale.
  • Défis sécuritaires persistants : La coopération sino-africaine, malgré son volet sécuritaire, peine encore à avoir un impact décisif sur la stabilité du Sahel. Les insurrections djihadistes se poursuivent, et les efforts pour stabiliser la région nécessitent des solutions plus holistiques, incluant un développement économique inclusif et des réformes politiques.

La coopération sino-africaine dans la région du Sahel est un axe central des relations entre la Chine et le continent africain. En dépit de certaines critiques concernant les risques d’endettement et les défis sécuritaires persistants, cette coopération offre des opportunités significatives pour le développement économique et la modernisation des infrastructures dans la région. Alors que l’Occident revoit sa stratégie vis-à-vis du Sahel, la Chine continue de renforcer ses liens avec ces États, redéfinissant ainsi les équilibres géopolitiques dans cette partie de l’Afrique.

References

  • Alden, Chris, and Daniel Large. China’s Engagement with Africa: From Natural Resources to Human Resources. Oxford University Press, 2019.
    This book provides a comprehensive look at China’s growing influence in Africa, discussing both economic and political dimensions, including infrastructure projects and resource extraction.

  • Bodomo, Adams. The Globalization of Foreign Aid: Developing Aid Policies in the 21st Century. Springer, 2017.
    This resource focuses on the global landscape of foreign aid, including China’s unique approach to development assistance in Africa, particularly in infrastructure development.
  • Liu, Hongwu, and Liu Haifang. China-Africa Cooperation: From Tangibility to Sustainability. China Social Sciences Press, 2018.
    This book delves into the development of Sino-African relations, with a focus on long-term sustainable cooperation in various sectors, including security and infrastructure.
  • French, Howard W. China’s Second Continent: How a Million Migrants Are Building a New Empire in Africa. Vintage, 2015.
    This work investigates the impact of Chinese immigration and investment in Africa, including strategic regions like the Sahel, and highlights both opportunities and challenges.
  • UN Economic Commission for Africa (ECA). Africa-China Partnership: Opportunities for Development. UN ECA Report, 2020.
    This report discusses China’s role in Africa’s economic development and infrastructure, providing investment data in regions like the Sahel.
  • African Union & China Forum on Africa Cooperation (FOCAC). Action Plan for Sino-African Cooperation (2021–2024).
    This document outlines strategic objectives for enhancing China-Africa relations in security, development, and infrastructure, including key focus points in the Sahel.
  • Chatham House. China in Africa: Implications for Peace and Security in the Sahel. Chatham House Briefing Paper, 2021.
    This briefing paper offers insights into China’s growing security role in the Sahel, highlighting peacekeeping missions and military cooperation with African states.
  • Shinn, David H., and Joshua Eisenman. China and Africa: A Century of Engagement. University of Pennsylvania Press, 2012.
    This comprehensive history examines the evolving relationship between China and Africa, including contemporary developments in regions like the Sahel.


*Expert en relations internationales, telles que la politique étrangère, le commerce international, la sécurité intérieure, la sécurité internationale, les pays en développement et la sécurité intérieure, le renseignement et l’armée.

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